Une jeunesse allemande

 

Avant d'avoir basculé dans le terrorisme, certains ont tenté de faire connaître leurs convictions par des actions artistiques et médiatiques. Une jeunesse allemande recompose ce parcours via de fascinantes images d'archives. Essentiel.

Qu'on ne s'y trompe pas, le documentaire de Jean-Gabriel Périot n'est pas un film sur la Fraction Armée Rouge, cette fameuse bande à Baader qui secoua l'Allemagne dans les années 70. D'autres films s'en sont chargés. Une jeunesse allemande élargit le spectre à une étude des mouvements contestataires étudiants qui ont essaimé à la même période. Périot aurait pu tout aussi bien consacrer son film à l'Armée rouge japonaise, autre groupuscule à avoir partagé avec la RAF un radicalisme qui les mènera au terrorisme. Ils étaient également parmi les seuls à avoir compris rapidement la toute puissance de l'image. Une jeunesse allemande révèle à quel point Ulrike Meinhof et Andreas Baader ont été d'incroyables théoriciens du système médiatique. (...)

Le documentaire de Périot rappelle à quel point le cinéma pouvait être perçu comme un art politique vers la fin des années 60. Avant de devenir des terroristes, Baader et Meinhof sont avant tout de jeunes allemands qui ne voient qu'un seul moyen de rompre avec l'empreinte qu'a laissé le nazisme sur leur pays : faire la révolution. A la même époque, la jeunesse française prépare Mai 68, la jeunesse italienne s'engage dans les brigades rouges tandis que la génération allemande à un poids supplémentaire dont elle doit se débarrasser: elle ne peut plus croire en des parents qui sont de près ou de loin liés au IIIe Reich. Périot n'a pas besoin de faire de commentaires, les fantastiques images d'archives, issues pour la plupart de la télé publique allemande, parlent d'elles-mêmes. Pour moindre exemple, cet extrait d'un débat où Meinhof, jeune femme exaltée, est en passe d'armes avec de vieux messieurs. Son titre ? L'autorité en déclin. Ou les films d'étudiant d'Holger Meins, la troisième tête de la RAF. Du mode d'emploi d'un cocktail Molotov à un homme se torchant le cul avec un portrait de Che Guevara. Face à ces images, Périot glisse d'autres images d'archives, celles d'allemands de la génération d'avant, perplexes devant cette jeunesse, ou celles de répression policière, entre autres lors d'une manifestation contre le régime du Shah d'Iran. Sans prendre parti sur ce qui suivra, Une jeunesse allemande montre comment ces jeunes idéalistes ont été poussés à poser les caméras pour prendre les armes, à force de ne pas être écoutés. C'était il y a un peu plus de quarante ans, mais si ce documentaire est saisissant, c'est dans sa résonnance avec aujourd'hui, où une jeunesse européenne bascule dans le djihadisme, où l'Etat Islamique a intégré à sa propagande la vidéo comme un outil stratégique.

 

A.M.
Version Originale
Octobre 2015